20/07/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Des télés satellite à l'assaut du continent

01/04/2003
Les télés satellite taiwanaises attendent impatiemment une déréglementation dans le secteur chinois des médias, conformément aux engagements pris par la Chine à l'OMC.

>> Les émissions télévisées grand public en Chine : une niche bien exploitée par les Taiwanais qui attendent néanmoins avec impatience la libéralisation promise

Nous sommes sur le plateau de Chefs cuisiniers du monde entier , une émission diffusée sur Asia Plus à Shanghai et dans sa région. Au menu aujourd'hui, le canard laqué à la pékinoise. Pourtant, dans le studio d'enregistrement, en cette après-midi d'automne glaciale, quelque chose d'indéfinissable dans le style de l'émission rappelle des rivages plus tropicaux. Ce n'est ni l'accent du présentateur, ni la décoration... Alors quoi ? Un petit tour en coulisse donne la clé du mystère : la productrice, Joan Sun [孫玉勤], qui de temps en temps souffle à l'animateur une réplique ou un trait d'humour, vient de Taiwan. Taiwanais lui aussi, Liu Chi-ying [劉啟鍈], le directeur de la production, va et vient derrière le rideau, donnant quelques instructions capitales malgré la fatigue qui se lit sur son visage.

« Nous avons quelque chose d'important à organiser tous les jours, dit Liu Chi-ying pour expliquer ses cernes. Cette semaine par exemple, il y a la conférence de presse pour le groupe japonais V6, ensuite une série d'enregistrements en studio, des tournages en extérieur, et en parallèle nous sommes en train de préparer une nouvelle émission qui s'appellera En voyage autour du globe. » Pour le concert du groupe taiwanais F4, organisé par la chaîne au Stade de Shanghai le week-end suivant, c'est encore Asia Plus qui devait assumer le soutien total de l'événement, de la répétition générale au concert en lui-même.

Tandis qu'en Chine la réforme économique est en marche et que les cercles culturels se dessinent, les Chinois aspirent à des médias de qualité internationale qui puissent faire concurrence à ceux des pays occidentaux et servir l'immense communauté de langue chinoise, en Chine et ailleurs dans le monde.

En retard
De fait, les capitaux étrangers coulent à flot en Chine continentale, ouvrant des horizons prometteurs aux médias. Au moment du XVIe Congrès du Parti communiste chinois, en octobre 2002, China Central Television (CCTV) a mis aux enchères ses plages publicitaires situées aux heures de grande écoute. L'opération a permis à la chaîne publique de rassembler 3,3 milliards de CNY (1 EUR = 9,15 CNY) en une seule journée, soit 700 millions de plus qu'en 2002. Ces 26% de croissance ont incité les sociétés de télévision étrangères à se jeter dans la bataille.

Les chaînes de télé satellite offrant des opportunités similaires avec leur large diffusion, elles sont inévitablement devenues l'enjeu d'une concurrence féroce entre les acteurs de l'industrie de la télévision. La majeure partie de la programmation asiatique par satellite est retransmise par AsiaSat1 et AsiaSat2. A peu près partout en Chine, il suffit donc d'avoir une mini-parabole pour obtenir une réception de bonne qualité. Les programmes venant de Taiwan - par le réseau d'Asia Entertainment Network - sont plutôt compétitifs. Lorsque la première émission de Chefs cuisiniers du monde entier a été diffusée par la taiwanaise Eastern Broadcasting en septembre 2002, elle a enregistré des records d'audience dans la région de Hangzhou (Zhejiang).

Les chaînes taiwanaises n'ont pour l'instant pas le droit de s'établir physiquement sur le continent et n'y diffusent donc que par satellite. Elles n'ont en outre pas accès au marché publicitaire chinois. Ainsi, malgré leur popularité, Asia Plus et Eastern, sont en fait en retard sur d'autres grands groupes étrangers, ceux de Hongkong en particulier. En effet, les premiers groupes à bénéficier de la légalisation de la diffusion par satellite de programmes en provenance de l'étranger, en 2001, ont été TVB et ATV de Hongkong, Time-Warner des Etats-Unis et la société à capitaux chinois Phoenix Satellite TV.

A la fin de l'année dernière, la Chine a autorisé 26 sociétés de télévision par satellite basées à Hongkong ou aux Etats-Unis à émettre depuis la Chine, néanmoins toutes n'ont pas eu les mêmes prérogatives : TVB et ATV ont par exemple obtenu le droit de ne couvrir que la région du delta de la Rivière des perles (Zhujiang), une région tout de même importante car placée à l'avant-garde de la réforme économique ; Phoenix peut quant à elle diffuser sur l'ensemble du continent, mais sa réception est réduite aux hôtels trois, quatre ou cinq étoiles, aux instituts de recherche, aux grandes administrations, aux résidences réservées aux étrangers et à quelques autres endroits bien définis.

Etant donné ces restrictions, les consortiums basés en dehors du continent chinois restent réservés dans leurs investissements, et leur marge de profit s'en trouve en conséquence limitée. Ce qui n'empêche pas d'autres chaînes de lorgner sur le marché chinois. Et, Pékin n'ayant pas encore procédé à l'ouverture promise, elles piaffent avec nervosité à la porte.

Pour justifier la persistance des barrières, Zhao Qizheng [趙啟正], le directeur de l'information du Conseil d'Etat de la république populaire de Chine, a en maintes occasions expliqué aux impatients que les autorités chinoises n'ont ralenti la marche de la libéralisation que pour freiner des importations « excessives » de produits culturels étrangers - contenu Internet, livres, disques et programmes satellite provenant d'Europe, des Etats-Unis, du Japon, de Taiwan, de Hongkong et de Macao - qui ont entraîné une « crise des valeurs » dans la société chinoise alors qu'elle s'ouvre au monde extérieur.

Manipulations
Leitmotiv du pouvoir chinois depuis 2000, la protection de l'industrie locale de l'audiovisuel a permis aux séries télévisées produites en Chine d'enregistrer de rapides succès. Avec leur style bien distinct, ces séries dramatiques ont séduit un large public et les retours sur investissements qu'elles ont engendrés ont servi à financer le développement du secteur dans son ensemble. Et dans chaque province, les chaînes se regroupent pour avoir plus de poids face à CCTV.

Même si ce filtrage des influences culturelles extérieures a été bénéfique au développement de l'industrie locale de la télévision, il ne satisfait pas tout le monde. « Dans ce pays, explique par exemple un professionnel du secteur basé à Shanghai, les médias sont utilisés pour inculquer des valeurs au public, pas pour lui offrir un service. » Il veut pour preuve la réaction des autorités à deux événements particuliers.

Le 11 septembre 2001, alors que les Etats-Unis venaient d'être l'objet d'attaques terroristes spectaculaires, les médias du monde entier ont immédiatement retransmis non-stop les images des attentats. Pas en Chine, où la télévision publique a continué sa programmation comme si de rien n'était. Les gens se sont rués en masse sur les hôtels trois étoiles, louant des chambres à un prix exorbitant uniquement pour regarder les news en direct de New York sur Phoenix TV.

C'est un tout autre scénario qui a été suivi au début de février 2002. Shanghai ayant décroché le droit d'accueillir l'Exposition universelle de 2010, c'était l'euphorie dans les rues de la ville. Et là, les télévisions locales ont interrompu leurs programmes pour montrer les manifestations de patriotisme. Des gens défilaient dans les rues de Shanghai en brandissant le drapeau rouge frappé de cinq étoiles. Un manifestant expliquait devant les caméras que la nouvelle faisait « la fierté de tous les Chinois », et que ceux-ci « devaient être reconnaissants à leurs dirigeants » pour cette grande victoire.

Les informations sont filtrées, le moral des masses surveillé, manipulé. Le pouvoir ne s'étant pas encore décidé à laisser les forces du marché agir, les émissions restent fortement politisées.

Des télés satellite à l'assaut du continent

En Chine, le secteur de l'information est encore lourdement encadré. C'est donc plutôt dans les divertissements et les programmes politiquement non sensibles que s'investissent les chaînes taiwanaises.

Leaders du divertissement
Dans ce contexte, les chaînes de télévision taiwanaises ne disposent pas de toutes les ressources nécessaires pour réussir leur percée sur le marché continental. Asia Plus et Eastern tentent néanmoins de placer leurs pions dans l'éventualité d'une rapide libéralisation. La première, qui appartient à des Taiwanais, a choisi d'établir son quartier général à Hongkong. La deuxième s'est associée à la chaîne Era dans une stratégie plus subtile : Era agit en effet à Taiwan en tant qu'agent de chaînes chinoises qui ciblent le public des Chinois d'outre-mer, dans l'espoir que ce service rendu lui permettra d'acquérir la confiance des autorités communistes.

Mais c'est surtout la position dominante de Taiwan en termes de qualité du contenu qu'Asia Plus et Eastern exploitent pour augmenter leur influence et leur présence sur le marché continental.

« C'est en tant que fournisseur de contenu qu'Asia Plus a obtenu le droit de diffuser en Chine », confirme Sammy Yang [楊盛昱], le directeur exécutif de la société. Dans ce secteur, a-t-il remarqué, les décideurs ont tendance à voir les choses du point de vue de la couverture satellite, c'est-à-dire à s'imaginer que plus la surface couverte est étendue, plus les opportunités d'affaires sont grandes. En réalité, la meilleure stratégie est plutôt de voir les choses du point de vue des spectateurs : pour séduire le public et le retenir, il faut lui proposer le contenu qu'il attend.

Notoriété de marque
Si Asia Plus dispose de ressources abondantes aujourd'hui, c'est principalement grâce à son président Kei Fu-hung [葛福鴻] et à sa directrice Chang Hsiao-yen [張小燕], sous la tutelle desquels on trouve des sociétés affiliées comme Forward Music ; Asia Plus Communications, qui produit des programmes télévisés ; Super Dome, qui organise des concerts ; et la chaîne de radio Asia Plus Broadcasting. Autre détail qui a son importance, Chang Hsiao-yen compte parmi les membres de sa famille des agents représentant les intérêts de plusieurs artistes. Les stars taiwanaises présentées par Asia Plus, que ce soit à la télévision ou à la radio, bénéficient de la notoriété de celle-ci, et vice-versa.

Asia Plus prépare ses émissions télévisées en deux versions, l'une pour Taiwan et l'autre pour le reste du monde. Comme la majeure partie du contenu est en fait mise en commun, cette façon de procéder n'augmente pas les coûts. Les programmes qui ont du succès auprès de la communauté chinoise un peu partout dans le monde, comme ceux d'Asia Entertainment Network, ou les séries Swallow Time et Love Affair of the Eighth Storm, sont tous produits à Taipei.

En Chine, le succès d'Asia Plus est récent, puisque la chaîne n'a commencé d'émettre sur le continent qu'il y a un an, mais il est réel. Les adolescents qui partent à la chasse aux aux autographes suivent avidement ses infos sur les stars, par exemple sur les idoles de la pop taiwanaise comme F4 ou les Comic Boys, pour s'informer de leur emploi du temps en tournée.

Pour rester en phase avec la vie locale et réduire ses coûts de production, Asia Plus a ouvert un studio à Shanghai en automne 2002 où elle produit des émissions de variétés conformes à la réglementation chinoise, qu'elle vend aux chaînes de télévision continentales.

« Il est interdit de produire plus de quatre émissions de variétés par an, et chacune d'entre elles ne doit pas présenter plus de deux stars de Hongkong ou de Taiwan », explique Joan Sun. Même les présentateurs sont soumis à des restrictions : ils doivent impérativement être mariés avec quelqu'un qui a la nationalité de la république populaire de Chine, par exemple. Autre restriction, les programmes consacrés à l'horoscope ou à la religion des stars et des invités sont interdits. Mais le côté positif de ces émissions, pour la productrice, c'est qu'elles sont relativement intemporelles et peuvent donc être diffusées même plusieurs mois après leur tournage. Une fois passées à la censure, elles sont vendues directement aux chaînes locales.

Echange de contenus
Eastern Television elle aussi excelle dans l'exploitation du contenu. Néanmoins, ses moyens n'étant pas aussi importants que ceux d'Asia Plus, elle procède différemment. Par exemple, elle revend ses actualités à la chaîne continentale Phoenix Satellite TV, ce qui lui permet d'être présente indirectement sur le sol chinois. Les deux partenaires jouent sur la synergie des marques en affichant à l'écran leurs deux logos.

Cela dit ce partenariat a ses inconvénients, comme le souligne Mel Chen [陳安祥], vice-président du département outre-mer chez Eastern. « Les Taiwanais installés à Shanghai se plaignent que Phoenix rediffuse souvent seulement la partie de nos actualités ayant trait aux faits divers, et c'est vrai que cela donne une image négative d'Eastern, mais Phoenix a le droit de choisir ce qu'elle diffuse et nous devons respecter ses choix. » L'important, poursuit-il, c'est qu'Eastern étant désormais connue du grand public, son image pourra être peaufinée d'une autre façon. Eastern s'est associée à 12 chaînes de télévision continentales avec lesquelles elle échange des contenus. Comme les programmes couvrant des sujets historiques, culturels ou touristiques n'ont pas besoin d'être censurés ni d'un côté ni de l'autre du détroit de Taiwan, ce sont eux qui constituent l'essentiel de ces échanges. Par exemple, Tribus taiwanaises : à la recherche de l'étrange, une émission produite par Eastern, a été bien accueillie par les téléspectateurs. Les chaînes chinoises ont un fort penchant pour les émissions de variétés taiwanaises et, à l'avenir, on peut très bien imaginer que celles-ci soient conçues de telle manière que de légères coupes et un nouveau montage suffisent à les rendre conformes aux exigences des censeurs chinois.

Si les actionnaires d'Asia Plus appartiennent principalement au monde du spectacle, Gary Wang [王令麟], le propriétaire d'Eastern, a pour sa part l'expérience de la vente. Les profits à Taiwan de la chaîne de téléachat du groupe sont sur la pente ascendante depuis deux ans, et Eastern envisage maintenant de la lancer sur le marché continental.

« Pendant la phase initiale, nous enverrons six personnes à Shanghai, précise Mel Chen. Nous avons budgété un investissement de 15 millions de TWD pour la première année. » Il y a déjà une chaîne de téléachat à Shanghai, qui marche plutôt bien, donc le potentiel existe.

Une plate-forme unique
L'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC) fait qu'il lui est de plus en plus difficile d'éviter les investissements étrangers, dans les médias comme dans les autres secteurs de l'économie. Mel Chen est plutôt optimiste étant donné les engagements pris par les autorités chinoises dans le cadre de l'OMC. D'ici 2005, en théorie, rappelle-t-il, elles devront autoriser les chaînes satellite taiwanaises à émettre depuis la Chine.

Pour l'instant, comme les hongkongaises ATV et ATB diffusent en cantonais sur la seule région du delta du Zhujiang et que les opérateurs du câble locaux insèrent souvent leurs propres publicités dans les retransmissions, elles n'ont pas encore réussi à capitaliser sur leur présence en Chine, d'autant plus que Phoenix leur fait concurrence en diffusant journaux télévisés, entretiens, et surtout séries dramatiques étrangères. L'heure n'est pas non plus aux émissions de variétés hongkongaises, parce qu'en dépit de la rétrocession de l'ancienne colonie britannique à la Chine, les artistes qui viennent de la région spéciale ne sont toujours pas traités sur un pied d'égalité avec leurs collègues chinois. Aussi faut-il former et lancer les vedettes sur le continent.

Ainsi, malgré les restrictions dont ils font l'objet, notamment l'interdiction qui leur est faite pour l'instant de diffuser depuis le sol chinois, les opérateurs taiwanais ne sont pas très loin derrière leurs concurrents de Hongkong, qui théoriquement devraient pourtant être en position de force. Asia Plus recourt à des activités annexes comme la production et le management d'artistes pour équilibrer son budget. Quant à Eastern, elle se serre la ceinture en attendant des jours meilleurs. Un jour proche, sans doute, toutes les chaînes de télévision satellite non chinoises pourront fonctionner selon les mêmes règles et avoir des droits d'accès identiques à leurs concurrentes sur place.

Un environnement équitable et transparent devrait permettre aux firmes taiwanaises de prendre l'avantage sur le marché de la télévision satellite, dans la mesure où, techniquement et artistiquement parlant, elles en ont déjà les moyens. La question qui se pose maintenant, c'est de savoir quelle sera l'influence sur la Chine d'une culture audiovisuelle importée de régions comme Hongkong et Taiwan qui ont oublié depuis longtemps ce que censure veut dire. ■

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